Un accord commercial majeur, en cours de négociation, entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis (US) menace les pouvoirs dont disposent les gouvernements pour protéger les populations et l’environnement des nouvelles technologies à risque telles que la fracturation hydraulique (fracking en anglais). A la veille des rassemblements qui se tiendront le 11 octobre 2014, et suite aux parties 1, 2, 3 et 4, nous publions le cinquième et dernier épisode qui conclut sur le risque d’un droit excessif pour les entreprises.
Des risques bien au-delà des privilèges pour les investisseurs
Le développement des gaz de schiste donne l’opportunité aux États-Unis de devenir, pour la première fois, un important exportateur de gaz naturel. Les États membres de l’UE, qui produisent peu de gaz naturel, aimeraient en importer des États-Unis. L’industrie du gaz souhaite exporter du gaz de schiste américain vers l’Europe, où elle peut le facturer environ trois fois plus qu’aux États-Unis. Le PTCI faciliterait les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis vers l’UE. En fait, si le PTCI comprend ce qui est appelé « le traitement national pour le commerce du gaz naturel », le Département de l’énergie des États-Unis serait légalement tenu d’approuver automatiquement les exportations de GNL des États-Unis vers l’UE sans même en examiner les impacts. L’UE va encore plus loin, en demandant un accès rapide au gaz des États-Unis (et au pétrole et au charbon), en proposant de nouveaux termes selon lesquels les gouvernements des États-Unis et de l’UE ne seraient pas en mesure de restreindre les exportations de charbon, de pétrole ou de gaz.
L’augmentation des exportations de GNL menacerait notre environnement et le climat de nombreuses façons
• L’augmentation de l’utilisation de la fracturation hydraulique : l’exportation de gaz naturel encourage l’augmentation de la production de gaz, dont la plupart provient de sources de gaz non conventionnels, qui nécessitent presque toujours l’utilisation de la fracturation hydraulique.
• L’aggravation des dérèglements climatiques : le GNL est un carburant à forte intensité en carbone, avec des émissions tout au long du cycle de production nettement supérieures à celles du gaz naturel. L’énergie nécessaire pour refroidir, liquéfier et stocker le gaz naturel pour l’expédier par les océans rend le GNL plus intensif en énergie, et en gaz à effets de serre, que le gaz naturel ordinaire. Ouvrir des réserves de gaz naturel à des exportations illimitées augmentera la dépendance aux énergies fossiles avec des impacts significatifs sur le climat.
• Une dépendance accrue aux infrastructures d’énergies fossiles, augmentant les émissions de méthane : les exportations de GNL requièrent une infrastructure industrielle, notamment un nouveau réseau de puits, des terminaux, des usines de liquéfaction et de regazéification, des gazoducs et des compresseurs. Cette infrastructure génère des fuites de méthane, un gaz à effet de serre quatre-vingt six fois plus puissant que le CO2 sur une période de vingt ans(33). Par conséquent, l’intensification des exportations est susceptible d’augmenter les émissions de méthane et d’aggraver les dérèglements climatiques.
Malgré le caractère critique de ces implications politiques, dans le cadre du PTCI, les pays ne seraient plus en mesure de contrôler ou de gérer les niveaux d’importation de gaz naturel, enfermant les États-Unis et l’UE dans une dépendance accrue aux énergies fossiles.
Conclusion : Non aux droits excessifs pour le secteur privé dans le PTCI
Le projet d’’accord transatlantique va bien au-delà des questions commerciales traditionnelles. Il pourrait avoir de graves conséquences sur les réglementations publiques qui vont dans l’intérêt des citoyens et de l’environnement. Cela est d’autant plus préoccupant que le PTCI est conçu comme un modèle pour les accords commerciaux et d’investissement à venir, un modèle que des entreprises multinationales telles que Chevron espèrent voir reproduit à l’échelle mondiale. Les activités pétrolières et gazières sont des investissements risqués qui peuvent avoir des impacts irréversibles sur les populations locales et l’environnement. C’est le rôle des pouvoirs publics de protéger les populations contre de tels impacts et veiller à ce que les entreprises paient des indemnités en cas de dommages. L’octroi de droits spéciaux et excessifs aux investisseurs a un effet inverse, puisque le risque d’investissement est transféré aux contribuables et à la société dans son ensemble. Les gouvernements pourraient être contraints d’indemniser des entreprises suite à des décisions prises pour protéger les populations et l’environnement.
“Les entreprises tentent d’obtenir par la ruse – par des accords commerciaux négociés secrètement– ce qu’elles ne pouvaient atteindre dans un processus politique ouvert.” Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel d’économie(37)
La bataille actuelle sur la réglementation de la fracturation hydraulique fournit un exemple clair de ce qui est en jeu. Les tribunaux internationaux d’arbitrage sont déjà utilisés pour contester un moratoire sur la fracturation hydraulique au Québec. Il fait peu de doute que si un tel dispositif était inclus dans les accords commerciaux entre les États-Unis et l’UE et entre l’UE et le Canada, la protection des investisseurs serait à nouveau mobilisée pour contester d’autres interdictions et réglementations de la fracturation hydraulique, que ce soit au niveau local ou national.
Les gouvernements pourraient être ébranlés par des tribunaux d’arbitrage, permettant aux entreprises de contester des décisions prises démocratiquement et visant à protéger les populations et l’environnement. L’enthousiasme pour les accords commerciaux contenant des clauses de ce type et, plus inquiétant encore, leur utilisation croissante par les entreprises, montrent que ce risque est réel.
Pour éviter des crises environnementales et climatiques catastrophiques, il faut résister à cette tendance-là, y compris au nom de la démocratie. La première étape consiste à s’opposer à toute inclusion de dangereux mécanismes de règlement des différends investisseur-État dans les projets d’accords entre l’Union européenne et les États-Unis et le Canada.