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(!) Info minute – Revue de Presse
Une traduction libre par nos soins de l’article de Chris Mooney paru ven. 15 août 2014 sur Mother Jones . com

fracking_site_usgs marcellus gaz de schisteA la droite de l’échiquier politique américain, il est assez populaire ces jours-ci de prétendre que la gauche exagère les inquiétudes (scientifiques) au sujet de la fracturation hydraulique également appelée «fracking». Par exemple, dans un récent article du National Review , un chercheur de Hoover Institution se plaint que 53% des démocrates en Californie se prononcent pour l’interdiction de la fracturation hydraulique «malgré l’existence de peu ou pas de preuves scientifiques crédibles sur les préjudices causés par la fracturation et les preuves scientifiques irréfutables sur ses avantages environnementaux, y compris la réduction substantielle de la pollution aussi bien au niveau local que mondial».

Il y a encore trois ou quatre ans, un tel positionnement pouvait encore sembler défendable. La préoccupation environnementale majeure concernant la fracturation hydraulique à l’époque était le risque de contamination de l’eau potable lors du processus de « fracking » – un processus consistant à injecter sous terre à des pressions extrêmes de vastes quantités d’eau, du sable et des produits chimiques pour forcer les couches de schiste à s’ouvrir dans les profondeurs de la terre afin d’en libérer le gaz naturel. Mais le discours scientifique était encore assez ambiguë. En fait, la question tournait essentiellement autour de la définition même de la fracturation hydraulique. S’agissant de l’ensemble du méga-processus des forages de gaz «non conventionnels», on sait qu’il a clairement causé la contamination des eaux souterraines, en raison de déversements et de fuites de puits mal cimentés. Mais techniquement, le «fracking» se réfère uniquement à l’ «explosion » provoquée par l’eau et les produits chimiques et non au forage, à l’élimination des déchets, ni aux énormes opérations industrielles qui accompagnent tout cela.

Comment les choses ont-elles évolué. De nos jours, explique Anthony Ingraffea, professeur de génie à l’Université de Cornell, l’argumentation scientifique contre la fracturation hydraulique et les forages de gaz non conventionnel est plus vaste[1]. Il ne s’agit pas uniquement de la contamination des eaux souterraines, mais également au minimum de deux autres problèmes majeurs : les tremblements de terre induits (par ce processus industriel) ainsi que les émissions non contrôlées de méthanes, un puissant gaz à effet de serre.

Dr Ingraffea_ stop gaz de schisteIngraffea appuie ses déclarations sur la base de données scientifiques – qu’il est difficile de ne pas prendre en considération. Prenez les tremblements de terre, par exemple. De l’avis d’Ingraffea, « il existe à présent un consensus scientifique que la sismicité induite par l’homme se produit » à la suite d’un aspect particulier du forage de gaz non conventionnel (à savoir, l’élimination de « l’eau de reflux » chimiquement chargé dans les réservoirs souterrains d’eaux usées, les « puits d’injection »[2]).

Pourtant, Ingraffea n’est pas a priori « l’ennemi scientifique » le plus probable de la fracturation hydraulique. Ses recherches ont été financées par les entreprises et les intérêts de l’industrie, y compris Schlumberger, le Gas Research Institute, General Dynamics, et Northrop Grumman[3]. Sa thèse de doctorat, dans les années 1970, a impliqué l’étude de la «mécanique de fracturation des roches», en d’autres termes, comment les fissures se propagent dans les roches, un domaine de connaissances crucial pour les industries extractives comme celles du pétrole et du gaz. « J’ai passé 20, que dis-je 25 ans à travailler avec l’industrie du pétrole et du gaz … à les aider à trouver la meilleure façon d’obtenir du pétrole et du gaz de la roche», explique Ingraffea.

Mais depuis, il est devenu un critique virulent[4] de l’exploitation du gaz non conventionnel. Il est récemment apparu dans le film Gasland II, et a été reconnu en 2011 par le Time[5] (aux côtés de l’acteur Mark Ruffalo et son collègue Robert Howarth Cornell) pour son travail soulignant les risques environnementaux de l’exploitation du gaz de schiste.

Que s’est-il donc passé? En un mot: la science. Ingraffea se réfère simplement à la science en développement sur les tremblements de terre et les émissions de méthane liée à l’exploitation du gaz non conventionnel. Même si vous n’êtes pas entièrement d’accord avec tout ce qu’il dit, vous trouverez probablement tout cela troublant et agaçant. Prenons ces sujets un par un:

La fracturation hydraulique et les tremblements de terre.

Assez curieusement, la question des tremblements de terre est en fait le sujet scientifique le moins controversée dans le débat sur la fracturation hydraulique. En effet, il semble maintenant clair que l’injection des eaux usées[6] -le stockage souterrain de l’eau et autres produits de la fracturation hydraulique qui remonte ​​des puits après la fracturation, peut contribuer à l’activité sismique. En fait, dans une étude publiée le mois dernier dans Science[7], les chercheurs suggèrent qu’une augmentation spectaculaire de l’activité sismique récente dans l’Oklahoma[8] -petits tremblements de terre de magnitude 5,7 en 2011, est en partie liée à la prolifération des puits d’injection des eaux usées.

Certes, il peut sembler difficile de comprendre (du moins si vous n’êtes pas géologue) comment des puits d’évacuation souterrain peuvent provoquer un tremblement de terre. Ingraffea l’explique de cette manière: «Nous avons agi sur des défauts de stabilité préexistants», dit-il. Les fluides de fracturation « lubrifient ces « défauts » et modifient la pression exercée ». Voici une illustration :

Et pour ce qui concerne le processus de fracturation lui-même? Lui aussi peut causer des tremblements de terre, indique Ingraffea, bien que les tremblements de terre liés à la fracturation hydraulique (par opposition aux puits d’injection) soient plus faibles (« jusqu’à présent« , comme le dit Ingraffea). Quand vous pensez à ce que nous faisons à la Terre, peut-être n’est-ce pas si surprenant. Après tout, l’eau de la fracturation hydraulique est injectée à des «pressions approchant ce que vous obtiendriez si vous empiliez par exemple 10 véhicules sur le bout de votre doigt», ajoute-t-il.

Le Fracking et les émissions fugitives de méthane.

« Peut-être pouvons-nous gérer le problème des tremblements de terre. Évidemment, il serait utile d’arrêter l’injection d’eaux usées près des points de rupture géologique» « Ça pourrait devenir un objectif dans la conception des process d’exploitation» déclare impassible Ingraffea. Cette situation est avant tout liée à un manque de réglementation de la part du département de protection de l’environnement.

Mais il existe un problème potentiel beaucoup plus grave qui est celui des émissions fugitives de méthane lors de l’exploitation du gaz de schiste. C’est d’ailleurs le sujet sur lequel Ingraffea s’est fait un nom dans le débat sur la fracturation hydraulique, et c’est probablement le plus important de tous.

En 2011, Ingraffea et deux autres chercheurs de Cornell University ont publié une étude scientifique[9] très discutée dans la revue Climatic Change, celle-ci faisant valoir que, entre 3,6 et 7,9% du méthane provenant des activités de forage de schiste s’échappent effectivement dans l’atmosphère, où il contribue au réchauffement climatique. Si ceci est vrai, compte tenu de la puissance atmosphérique unique du méthane, le méthane est environ 80 à 90 fois … plus puissant comme un gaz à effet de serre que le dioxyde de carbone» sur une période de deux à trois décennies, dit Ingraffea- alors les conséquences pourraient être dramatiques. Le gaz naturel pourrait basculer de l’avantage net climatique (car sa combustion est plus propre que le pétrole ou le charbon) au préjudice climatique, à cause de tout le méthane qui s’échappe.

Fayeteville_Shale 15673532.smaller_0Certes, tout ceci dépend du taux de fuite de l’exploitation du gaz naturel, à travers les multiples étapes de son processus, de l’extraction initiale du gaz de la Terre, et tout au long de son transport. Et c’est là que se situe le débat. « Chacune des mesures effectuées a conclu que le pourcentage de méthane s’échappant dans l’atmosphère provenant de l’exploitation du pétrole et du gaz est bien supérieure à 2,5% » déclare Ingraffea. « Je pense que la meilleure estimation actuellement se situe autour de 5% » ajoute-t-il, et c’est largement suffisant pour condamner l’idée selon laquelle le gaz naturel est un «carburant de transition » vers un avenir d’énergie propre ».

Ingraffea n’est pas le seul chercheur à suggérer que les fuites de méthane atteignent des niveaux si élevés. Dans une étude[10] publiée en 2013 dans les Actes de l’Académie nationale (américaine) des Sciences, une équipe de chercheurs de deux universités américaines et les laboratoires nationaux ont constaté que le département fédéral de l’environnement (EPA) était en train de sous-estimer les émissions de méthane provenant de l’industrie de l’énergie (que ça soit pour les forages conventionnels ou de gaz de schiste). Dans un autre article publié dans Science[11] plus tôt cette année, les chercheurs ont de nouveau blâmé les mesures de méthane de l’EPA, mais ont néanmoins conclu que le gaz naturel peut encore contribuer à un avenir plus propre si les émissions de méthane font l’objet d’une règlementation et d’une gestion adéquates. (Le groupe d’experts intergouvernemental de l’ONU sur les changements climatiques en arrive au même type de conclusion[12].)

Quel est le vrai problème dans tout ça?

Il est évident que tout le monde ne partage pas l’avis d’Ingraffea. Par exemple, à la fois publiquement[13] et par écrit[14], Ingraffea a régulièrement débattu avec Terry Engelder[15] , professeur de géosciences à l’Université d’Etat de Pennsylvanie, ce dernier faisant valoir que les avantages de l’exploitation du gaz de schiste l’emportent encore sur les risques.

Engelder ne nie pas le problème des émissions fugitives de méthane. Au contraire, son opinion[16] est que «par la maîtrise des fuites et les «green completions[17]» (se réfère à une nouvelle règle de l’EPA qui exigent des exploitants de gaz naturel de capturer les composés organiques volatils sur place plutôt que de les laisser s’échapper dans l’atmosphère, un processus qui selon l’EPA, consisterait à « réduire de manière significative» les émissions de méthane) on pourrait venir à bout de la fuite de méthane dans l’atmosphère. »

Mais à cela Ingraffea rétorque que ce n’est pas assez. Le nouveau règlement, dit-il, ne couvre qu’ »une partie de l’ensemble de la chaine de l’approvisionnement pour le gaz naturel, et elle ne s’applique qu’aux nouveaux puits de gaz, et non pas aux anciens. » De plus, il s’applique uniquement aux puits de gaz, pas aux puits de pétrole qui libèrent également du méthane.

Fort de l’accumulation des preuves scientifiques, Ingraffea insiste aujourd’hui sur le fait que le gaz naturel est le « loup déguisé en agneau». La question du méthane ne peut pas être réglée entièrement, elle reste grave et c’est une question qui ne peut être occultée.

Pour ceux qui affirment qu’il existe une manière de régler cela sur le mode « donnez-nous du temps et nous allons corriger le problème », je suis désolé, nous avons eu 100 ans d’exploitation commerciale de pétrole et de gaz, en très grandes quantités et dans le monde entier. Ce temps est terminé. Nous avons déjà trop endommagé l’atmosphère, et il serait trop long, il faudrait des décennies et des milliards de dollars, pour commencer à régler les problèmes dont on sait qu’ils existent depuis des décennies. Et d’ici là, il sera trop tard.

[1] Ecouter ici l’intervention en anglais https://soundcloud.com/inquiringminds/47-anthony-ingraffea-the-science-of-fracking
[2] En anglais « Injection wells » . Voir aussi la définition par département de l’environnement américain http://water.epa.gov/type/groundwater/uic/basicinformation.cfm
[3] Voir le CV du Dr Ingraffea ici à http://psehealthyenergy.org/users/view/14193
[4] « Ne m’appelez pas un activiste » http://www.politico.com/story/2013/07/anthony-ingraffea-dont-label-me-an-activist-93839.html
[5] http://content.time.com/time/specials/packages/article/0,28804,2101745_2102309_2102323,00.html
[6] Voir aussi cet article sur Mother Jone ainsi que ce qu’en dit le département de l’environnement américain
[7] http://www.sciencemag.org/content/345/6195/448.full
[8] http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/08/man-made-earthquakes-are-altering-the-geologic-landscape/372243/
[9] http://www.eeb.cornell.edu/howarth/Howarth%20et%20al%20%202011.pdf
[10] http://calgem.lbl.gov/Miller-2013-PNAS-US-CH4-Emissions-9J5D3GH72.pdf
[11] http://www.sciencemag.org/content/343/6172/733
[12] http://report.mitigation2014.org/spm/ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers_approved.pdf
[13] https://www.youtube.com/watch?v=TvlUteW8FJ4
[14] http://cce.cornell.edu/EnergyClimateChange/NaturalGasDev/Documents/PDFs/Howarth%20Nature.pdf
[15] http://www3.geosc.psu.edu/~jte2/
[16] https://www.youtube.com/watch?v=BBSVLGf7zPI
[17] http://www.epa.gov/airquality/oilandgas/pdfs/20120417summarywellsites.pdf

 (!) Info minute – Revue de Presse

naomi kleinPar Naomi Klein – Publié dans le Guardian le 10 Avril 2014. Traduit par nos soins.

 

Du changement climatique à la Crimée, la suprématie de l’industrie du gaz naturel pour exploiter la crise à des fins mercantiles et privées- ce que j’appelle la doctrine du choc .

 Fracking in a Colorado valleyLa façon de battre Vladimir Poutine est d’inonder le marché européen avec du gaz naturel extrait par fracturation hydraulique (ndt « gaz de schiste ») aux Etats-Unis, ou tout du moins c’est ce que l’industrie souhaite nous faire croire. Dans le cadre de l’escalade de l’hystérie anti-russe, deux projets de loi ont été introduits au Congrès américain – l’un à la Chambre des Représentants, l’autre au Sénat – une tentative d’accélérer les exportations de gaz naturel liquéfié ( GNL), tout ceci au prétexte d’aider à l’Europe à se sevrer des combustibles fossiles de Poutine, et pour le renforcement de la sécurité nationale des États-Unis.

 Selon Cory Gardner, membre républicain du Congrès qui a présenté le projet à la Chambre, « s’opposer à ce projet de loi c’est comme ne pas répondre à un appel d’urgence de nos amis et alliés[1]« . Cela pourrait être vrai – aussi longtemps que vos amis et alliés travaillent à Chevron et Shell, la situation d’urgence étant la nécessité de maintenir les bénéfices à la hausse dans un contexte de baisse de la production de pétrole et de gaz conventionnels.

Pour que ce stratagème fonctionne, il est important de ne pas regarder de trop près les détails. Il s’agit notamment du fait que la majeure partie de ce gaz ne rejoindra probablement pas à l’Europe – puisque cette proposition de loi permet la commercialisation de ce gaz sur le marché mondial à n’importe quel pays membre de l’Organisation mondiale du commerce.

Il s’agit également du fait que pendant des années, l’industrie a vendu le message que les Américains doivent accepter les risques engendrés par le fracking (fracturation hydraulique) sur leurs terres, dans l’eau et l’air afin d’aider leur pays à atteindre «l’indépendance énergétique». Et maintenant, soudainement et sournoisement, l’objectif devient la «sécurité énergétique», qui semble signifier la vente d’une surabondance temporaire de gaz de schiste sur le marché mondial, générant la dépendance énergétique dans ces pays étranger.

Mais et surtout, il est important de ne pas mettre en évidence que la construction de l’infrastructure nécessaire à l’exportation du gaz à cette échelle nécessiterait de nombreuses années – un terminal méthanier constitue à lui seul un projet pouvant atteindre un coût de 7 milliards de dollars, il doit être massivement alimenté par un réseau de pipelines et de stations de compression, il nécessite sa propre centrale pour produire l’énergie nécessaire à la liquéfaction du gaz. Au moment où ces gigantesques projets industriels seront effectivement en place et en état de fonctionnement, l’Allemagne et la Russie pourraient bien être devenus les meilleurs amis. Mais d’ici là, qui se souviendra que la crise en Crimée a été le prétexte pris par l’industrie du gaz pour accomplir ses vieux rêves d’exportation, quelles que soient les conséquences pour les populations touchées par la fracturation hydraulique et alors que la planète est en train de cuire.

J’appelle ce talent d’exploiter les crises à des fins privées « la doctrine du choc », et elle ne montre aucun signe d’essoufflement. Nous savons tous combien la doctrine du choc fonctionne: en temps de crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée, nos élites sont en mesure de faire adopter des politiques impopulaires et préjudiciables au plus grand nombre sous couvert d’urgence. Bien sûr, on entend s’élever quelques objections – comme celles de climatologues alertant sur le puissant pouvoir de réchauffement du méthane, ou des communautés locales qui ne veulent pas de ces ports d’exportation à haut risque sur les côtes qu’elles chérissent. Mais qui a le temps pour le débat? C’est une urgence! Le centre d’appel des urgences sature! Passer les premières lois, penser plus tard.

De nombreuses industries excellent dans ce stratagème, mais aucune n’est plus habile à exploiter les contextes de crise que l’industrie mondiale du gaz.

urkraine usa fracking gaz de schisteDepuis quatre ans, le lobby du gaz a utilisé la crise économique en Europe pour dire aux pays comme la Grèce que le moyen de sortir de la dette et du désespoir est d’ouvrir leurs belles et fragiles mers aux forages. Et il a utilisé le même type d’argumentaire que celui destiné à faire passer la fracturation hydraulique aux Amérique du Nord et au Royaume-Uni.

Pour le moment, la crise, c’est le conflit en Ukraine. Elle est utilisée comme un bélier pour abattre des restrictions portant sur les exportations de gaz naturel et pour pousser l’accord controversé de libre-échange avec l’Europe. Voilà un sacré deal: multiplication d’accords de libres échanges permettant aux sociétés de polluer les économies et davantage de gaz à effet de serre polluant l’atmosphère – tous ça comme réponse à une crise de l’énergie en grande partie fabriquée.

Dans ce contexte, il faut se rappeler – ironie du sort – que l’industrie du gaz naturel a été très habile à exploiter le changement climatique lui-même.

Peu importe que la solution de l’industrie à la crise climatique soit d’étendre considérablement un processus d’extraction par fracturation qui libère dans l’atmosphère des quantités massives de méthane propices à la déstabilisation du climat. Le méthane est un des gaz à effet les plus puissants – 34 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, selon les dernières estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques. Et ceci sur une période de 100 ans.

Or selon Robert Howarth, biochimiste de Cornell University comptant parmi les plus grands experts mondiaux sur les émissions de méthane, il est bien plus pertinent d’examiner l’impact dans un intervalle de 15 à 20 ans, quand le méthane a le stupéfiant potentiel de réchauffement global 86 à 100 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. « C’est dans ce laps de temps que nous risquons de nous enfermer dans un réchauffement très rapide, » a-t-il affirmé mercredi.

Et rappelez-vous: vous ne construisez pas des infrastructures de plusieurs milliards de dollars, sauf si vous prévoyez de les utiliser pendant au moins 40 ans. Donc, nous répondons à la crise de notre réchauffement de la planète en construisant un réseau ultra-puissant de fours atmosphériques. Sommes-nous fous?

Pas que nous ne sachions combien de méthane est effectivement libéré par les forages et la fracturation hydraulique ainsi que l’ensemble des infrastructures. Même si l’industrie du gaz naturel vante ses émissions de dioxyde de carbone « inférieures au charbon!« , on n’a jamais mesuré systématiquement ses fuites fugitives de méthane qui se disséminent à chaque étape du processus d’extraction de gaz, lors de la transformation et de la distribution – des tubages de puits en passant par les vannes des condensateurs jusqu’au réseau de distribution fissuré sous les quartiers de Harlem. Dès 1981, l’industrie du gaz elle-même avait développé le concept intelligent du gaz naturel comme «pont» vers un avenir d’énergies propres. C’était il y a 33 ans. C’est un long pont! Et on n’aperçoit toujours pas l’autre rive.

Et en 1988 – l’année où le climatologue James Hansen, dans un témoignage historique, a averti le Congrès de l’urgence causée par le réchauffement global – l’association américaine de l’industrie gazière (American Gas Association) a commencé à vendre explicitement son produit comme une réponse à «l’effet de serre». Elle n’a donc pas perdu de temps, en se vendant comme la solution à une crise mondiale qu’elle avait contribué à créer.

L’utilisation de la crise en Ukraine par l’industrie pour étendre son marché mondial sous la bannière de la «sécurité énergétique» doit être replacée dans le contexte d’une série ininterrompue de crises opportunes. Seulement, cette fois, bien plus d’entre nous savent où se trouve la véritable sécurité énergétique. Merci aux travaux de chercheurs de haut niveau tels que Mark Jacobson et son équipe de Stanford , nous savons que le monde peut, dès 2030, compter sur une énergie produite avec du renouvelable. Et merci aux derniers et alarmants rapports du GIEC, nous savons que cela est maintenant un impératif de survie.

Il s’agit de l’infrastructure que nous avons besoin de construire en vitesse – pas de projets industriels massifs qui nous enfermeraient dans davantage de dépendance aux combustibles fossiles dangereuse pour les décennies à venir. Oui, ces carburants sont encore nécessaires pendant la transition et les stocks d’hydrocarbures conventionnels sont bien suffisants. Les autres hydrocarbures tels que les sables bitumineux et ceux extraits par la fracturation hydraulique ne sont tout simplement pas nécessaires. Comme l’a dit Jacobson dans une interview cette semaine: «Nous n’avons pas besoin de combustibles non conventionnels pour produire l’infrastructure nécessaire à convertir le vent, l’eau et le solaire en énergie propre et renouvelable Nous pouvons compter sur l’infrastructure existante ainsi que la nouvelle infrastructure [de production d’énergie renouvelable] pour fournir l’énergie nécessaire à la production du reste de l’infrastructure propre dont nous aurons besoin … Le pétrole et le gaz conventionnels sont plus que suffisants. « 

Compte tenu de cela, c’est aux Européens de transformer leur désir d’émancipation du gaz russe par une demande pour une transition accélérée vers les énergies renouvelables. Une telle transition – à laquelle les pays européens se sont engagés dans le cadre du protocole de Kyoto – peut facilement être sabotée si le marché mondial est inondé avec des combustibles fossiles bon marché issus par fracturation de la roche aux États-Unis. C’est pourquoi, Americans Against Fracking, qui mène la charge contre le traitement accéléré des exportations de GNL, travaille en étroite collaboration avec ses homologues européens pour empêcher que cela se passe.

La réponse à la menace catastrophique du réchauffement est notre impératif le plus pressant. Et nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’être distrait par le dernier stratagème de marketing de crise alimentée de l’industrie du gaz naturel.

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[1] Phrase originale: “opposing this legislation is like hanging up on a 911 call from our friends and allies