Ukraine : pourquoi les entreprises de fracking des États-Unis se lèchent les babines, la doctrine du choc, par Naomi Klein

Publié: 11 avril 2014 dans énergie climat, gaz de schiste
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 (!) Info minute – Revue de Presse

naomi kleinPar Naomi Klein – Publié dans le Guardian le 10 Avril 2014. Traduit par nos soins.

 

Du changement climatique à la Crimée, la suprématie de l’industrie du gaz naturel pour exploiter la crise à des fins mercantiles et privées- ce que j’appelle la doctrine du choc .

 Fracking in a Colorado valleyLa façon de battre Vladimir Poutine est d’inonder le marché européen avec du gaz naturel extrait par fracturation hydraulique (ndt « gaz de schiste ») aux Etats-Unis, ou tout du moins c’est ce que l’industrie souhaite nous faire croire. Dans le cadre de l’escalade de l’hystérie anti-russe, deux projets de loi ont été introduits au Congrès américain – l’un à la Chambre des Représentants, l’autre au Sénat – une tentative d’accélérer les exportations de gaz naturel liquéfié ( GNL), tout ceci au prétexte d’aider à l’Europe à se sevrer des combustibles fossiles de Poutine, et pour le renforcement de la sécurité nationale des États-Unis.

 Selon Cory Gardner, membre républicain du Congrès qui a présenté le projet à la Chambre, « s’opposer à ce projet de loi c’est comme ne pas répondre à un appel d’urgence de nos amis et alliés[1]« . Cela pourrait être vrai – aussi longtemps que vos amis et alliés travaillent à Chevron et Shell, la situation d’urgence étant la nécessité de maintenir les bénéfices à la hausse dans un contexte de baisse de la production de pétrole et de gaz conventionnels.

Pour que ce stratagème fonctionne, il est important de ne pas regarder de trop près les détails. Il s’agit notamment du fait que la majeure partie de ce gaz ne rejoindra probablement pas à l’Europe – puisque cette proposition de loi permet la commercialisation de ce gaz sur le marché mondial à n’importe quel pays membre de l’Organisation mondiale du commerce.

Il s’agit également du fait que pendant des années, l’industrie a vendu le message que les Américains doivent accepter les risques engendrés par le fracking (fracturation hydraulique) sur leurs terres, dans l’eau et l’air afin d’aider leur pays à atteindre «l’indépendance énergétique». Et maintenant, soudainement et sournoisement, l’objectif devient la «sécurité énergétique», qui semble signifier la vente d’une surabondance temporaire de gaz de schiste sur le marché mondial, générant la dépendance énergétique dans ces pays étranger.

Mais et surtout, il est important de ne pas mettre en évidence que la construction de l’infrastructure nécessaire à l’exportation du gaz à cette échelle nécessiterait de nombreuses années – un terminal méthanier constitue à lui seul un projet pouvant atteindre un coût de 7 milliards de dollars, il doit être massivement alimenté par un réseau de pipelines et de stations de compression, il nécessite sa propre centrale pour produire l’énergie nécessaire à la liquéfaction du gaz. Au moment où ces gigantesques projets industriels seront effectivement en place et en état de fonctionnement, l’Allemagne et la Russie pourraient bien être devenus les meilleurs amis. Mais d’ici là, qui se souviendra que la crise en Crimée a été le prétexte pris par l’industrie du gaz pour accomplir ses vieux rêves d’exportation, quelles que soient les conséquences pour les populations touchées par la fracturation hydraulique et alors que la planète est en train de cuire.

J’appelle ce talent d’exploiter les crises à des fins privées « la doctrine du choc », et elle ne montre aucun signe d’essoufflement. Nous savons tous combien la doctrine du choc fonctionne: en temps de crise, qu’elle soit réelle ou fabriquée, nos élites sont en mesure de faire adopter des politiques impopulaires et préjudiciables au plus grand nombre sous couvert d’urgence. Bien sûr, on entend s’élever quelques objections – comme celles de climatologues alertant sur le puissant pouvoir de réchauffement du méthane, ou des communautés locales qui ne veulent pas de ces ports d’exportation à haut risque sur les côtes qu’elles chérissent. Mais qui a le temps pour le débat? C’est une urgence! Le centre d’appel des urgences sature! Passer les premières lois, penser plus tard.

De nombreuses industries excellent dans ce stratagème, mais aucune n’est plus habile à exploiter les contextes de crise que l’industrie mondiale du gaz.

urkraine usa fracking gaz de schisteDepuis quatre ans, le lobby du gaz a utilisé la crise économique en Europe pour dire aux pays comme la Grèce que le moyen de sortir de la dette et du désespoir est d’ouvrir leurs belles et fragiles mers aux forages. Et il a utilisé le même type d’argumentaire que celui destiné à faire passer la fracturation hydraulique aux Amérique du Nord et au Royaume-Uni.

Pour le moment, la crise, c’est le conflit en Ukraine. Elle est utilisée comme un bélier pour abattre des restrictions portant sur les exportations de gaz naturel et pour pousser l’accord controversé de libre-échange avec l’Europe. Voilà un sacré deal: multiplication d’accords de libres échanges permettant aux sociétés de polluer les économies et davantage de gaz à effet de serre polluant l’atmosphère – tous ça comme réponse à une crise de l’énergie en grande partie fabriquée.

Dans ce contexte, il faut se rappeler – ironie du sort – que l’industrie du gaz naturel a été très habile à exploiter le changement climatique lui-même.

Peu importe que la solution de l’industrie à la crise climatique soit d’étendre considérablement un processus d’extraction par fracturation qui libère dans l’atmosphère des quantités massives de méthane propices à la déstabilisation du climat. Le méthane est un des gaz à effet les plus puissants – 34 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, selon les dernières estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques. Et ceci sur une période de 100 ans.

Or selon Robert Howarth, biochimiste de Cornell University comptant parmi les plus grands experts mondiaux sur les émissions de méthane, il est bien plus pertinent d’examiner l’impact dans un intervalle de 15 à 20 ans, quand le méthane a le stupéfiant potentiel de réchauffement global 86 à 100 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. « C’est dans ce laps de temps que nous risquons de nous enfermer dans un réchauffement très rapide, » a-t-il affirmé mercredi.

Et rappelez-vous: vous ne construisez pas des infrastructures de plusieurs milliards de dollars, sauf si vous prévoyez de les utiliser pendant au moins 40 ans. Donc, nous répondons à la crise de notre réchauffement de la planète en construisant un réseau ultra-puissant de fours atmosphériques. Sommes-nous fous?

Pas que nous ne sachions combien de méthane est effectivement libéré par les forages et la fracturation hydraulique ainsi que l’ensemble des infrastructures. Même si l’industrie du gaz naturel vante ses émissions de dioxyde de carbone « inférieures au charbon!« , on n’a jamais mesuré systématiquement ses fuites fugitives de méthane qui se disséminent à chaque étape du processus d’extraction de gaz, lors de la transformation et de la distribution – des tubages de puits en passant par les vannes des condensateurs jusqu’au réseau de distribution fissuré sous les quartiers de Harlem. Dès 1981, l’industrie du gaz elle-même avait développé le concept intelligent du gaz naturel comme «pont» vers un avenir d’énergies propres. C’était il y a 33 ans. C’est un long pont! Et on n’aperçoit toujours pas l’autre rive.

Et en 1988 – l’année où le climatologue James Hansen, dans un témoignage historique, a averti le Congrès de l’urgence causée par le réchauffement global – l’association américaine de l’industrie gazière (American Gas Association) a commencé à vendre explicitement son produit comme une réponse à «l’effet de serre». Elle n’a donc pas perdu de temps, en se vendant comme la solution à une crise mondiale qu’elle avait contribué à créer.

L’utilisation de la crise en Ukraine par l’industrie pour étendre son marché mondial sous la bannière de la «sécurité énergétique» doit être replacée dans le contexte d’une série ininterrompue de crises opportunes. Seulement, cette fois, bien plus d’entre nous savent où se trouve la véritable sécurité énergétique. Merci aux travaux de chercheurs de haut niveau tels que Mark Jacobson et son équipe de Stanford , nous savons que le monde peut, dès 2030, compter sur une énergie produite avec du renouvelable. Et merci aux derniers et alarmants rapports du GIEC, nous savons que cela est maintenant un impératif de survie.

Il s’agit de l’infrastructure que nous avons besoin de construire en vitesse – pas de projets industriels massifs qui nous enfermeraient dans davantage de dépendance aux combustibles fossiles dangereuse pour les décennies à venir. Oui, ces carburants sont encore nécessaires pendant la transition et les stocks d’hydrocarbures conventionnels sont bien suffisants. Les autres hydrocarbures tels que les sables bitumineux et ceux extraits par la fracturation hydraulique ne sont tout simplement pas nécessaires. Comme l’a dit Jacobson dans une interview cette semaine: «Nous n’avons pas besoin de combustibles non conventionnels pour produire l’infrastructure nécessaire à convertir le vent, l’eau et le solaire en énergie propre et renouvelable Nous pouvons compter sur l’infrastructure existante ainsi que la nouvelle infrastructure [de production d’énergie renouvelable] pour fournir l’énergie nécessaire à la production du reste de l’infrastructure propre dont nous aurons besoin … Le pétrole et le gaz conventionnels sont plus que suffisants. « 

Compte tenu de cela, c’est aux Européens de transformer leur désir d’émancipation du gaz russe par une demande pour une transition accélérée vers les énergies renouvelables. Une telle transition – à laquelle les pays européens se sont engagés dans le cadre du protocole de Kyoto – peut facilement être sabotée si le marché mondial est inondé avec des combustibles fossiles bon marché issus par fracturation de la roche aux États-Unis. C’est pourquoi, Americans Against Fracking, qui mène la charge contre le traitement accéléré des exportations de GNL, travaille en étroite collaboration avec ses homologues européens pour empêcher que cela se passe.

La réponse à la menace catastrophique du réchauffement est notre impératif le plus pressant. Et nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’être distrait par le dernier stratagème de marketing de crise alimentée de l’industrie du gaz naturel.

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[1] Phrase originale: “opposing this legislation is like hanging up on a 911 call from our friends and allies

commentaires
  1. Hélène dit :

    L’article démonte efficacement le fonctionnement de la sphère financière et commerciale, qui a depuis longtemps mis la main sur la politique européenne et mondiale, grâce à des mots magiques comme urgence, libéraliser, sécurité et même démocratie, et à des accords de dupes comme le traité de Lisbonne, l’accord de libre échange avec l’Europe, le GATT/OMC, etc… Une seule solution: la résistance citoyenne, mais elle n’est pas facile…

  2. dedelreu dit :

    Lisez les livres et reportages de Naomi Klein qui montre la doctrine ou plutôt stratégie du choc utilisée depuis plus de 50ans par les USA, pour profiter du chaos ainsi provoqué, pour multiplier la rentabilité en étouffant les perdants, et le 11 septembre avec la guerre mensongère est le plus bel exemple de cette stratégie destructive.

    Sinon il existe des solutions simples fonctionnelles pour ne plus dégager de gaz qui chauffent la planète, sans la rendre radioactive, sans la moindre pollution, mais quasiment négligée, même par les écologistes,

    Il existe plein de solutions qui fonctionnent, à bon rendement, sans passer par l’électricité, elle inutile et à mauvais rendement pour climatiser ou se chauffer, alors que le soleil fournit plein d’énergie thermique avec des installations ultra-simples, une simple plaque noire très peu chère sous un transparent à bulles, un peu isolant, de type serre, donne 60°C avec un rendement de 50%.

    Il y a plein de vraies solutions écologiques réelles avec plein d’emplois.
    Une solution négligée et méprisée, pour se chauffer gratuite à l’usage qui fonctionne à http://www.dlsc.ca depuis 2007 lire

    http://www.dlsc.ca/DLSC_Brochure_f.pdf !!
    On stocke la chaleur solaire gaspillée en été sous terre pour se chauffer en hiver .
    A l’usage, gratuit, perpétuel, inusable, ne consommant rien, ni ne polluant rien du tout, qui permettrait d’économiser tous les carburants et nucléaires fossiles et leurs CO2 qui servent à nous chauffer ou à climatiser !!

    Cette chaleur peut être conservée du jour pour la nuit simplement, dans le sol avec quelques tuyaux sous terre tous les 2 à 3m , et même conservée de l’été pour se chauffer en hiver, comme cela fonctionne à http://www.dlsc.ca
    ( lire http://www.dlsc.ca/DLSC_Brochure_f.pdf) réellement depuis 2007 pour se chauffer après installation gratuitement, à perpétuité, sans la moindre pollution (pas CO2, pas de particules, pas de radioactivité, pas de catastrophes nucléaires, et très réel, pas une théorie imaginaire ).

    C’est une géothermie peu profonde sans pompe à chaleur à recharge solaire en été pour se chauffer en hiver, très simple et efficace.
    On peut l’installer dans son jardin, soi même, quasiment identique à une géothermie commerciale, mais sans la pompe à chaleur électrique, qui est remplacée par des capteurs thermiques solaires sur le toit de sa maison, qui stockent la chaleur de l’été en trop et gaspillée sous terre, pour se chauffer en hiver avec.

    Enfin la chaleur solaire thermique à concentration à 300°C du jour, peut être conservée sous terre aussi, comme font naturellement les régions volcaniques avec géothermie naturelle sur des millions d’années, de l’été pour l’hiver, comme pour w.dlsc.ca , pour alimenter un générateur thermique d’électricité classique, qui alors fonctionne nuit et jour, toute l’année, même sans soleil l’hiver, gratuitement, à perpétuité, sans aucune pollution, ni inconnue technologique vue les géothermies profondes qui fonctionnent déjà, sans la nécessité impérative de recharge solaire à concentration en été, pour éviter leur épuisement à long terme.

    Les puits à pétrole ou à gaz de schistes peuvent être reconvertis en cette géothermie solaire elle sans pollution.

    Il est effarant que personne, même les écologistes ne parlent de ces vraies solutions et qu’on privilégie les études absurdes, qui chauffent et polluent la planète, alors qu’on néglige des solutions simples efficaces qui fonctionnent déjà.

    Folie aveugle de l’idéologie de la compétitivité à très court terme, laissant plein de pollutions à nos enfants qui nous le reprocheront pendant des siècles, d’avoir chauffé et radioactivé la planète, et qui regarderont les mers acidifiées monter sans cesse sur des millénaires sans rien pouvoir faire pour stopper cette montée inéluctable, très semblable à celle de 120m il y a entre -18000 et -6000 ans totalement inéluctable, en fondant les glaciers américains et il reste le Groenland et l’Antarctique à fondre, qui devient aussi inéluctable sur des millénaires, une fois amorcée, !

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