Adaptation française par stopgazdeschiste.org d’un article d’Ellen Cantarow publié en anglais sur EcoWatch.org
Pourquoi, au juste, la fracturation hydraulique est-elle une industrie dévastatrice? La meilleure façon de décrire sa singularité, son immensité, sa différence par rapport à d’autres industries et la menace pour la planète?
Suite de la première partie
Quand j’ai interviewé le Dr Anthony Ingraffea Professeur de génie, chargé de l’enseignement à l’Université Cornell et président de la société « Médecins, scientifiques et ingénieurs pour une énergie saine», j’ai réalisé que ses explications étaient peut-être les plus claires et les plus instructives de tout ce que j’avais déjà entendu sur le fracking. J’ai donc élargi l’entrevue initiale pour inclure les réflexions d’Ingraffea sur son cheminement ayant mené un initié de l’industrie à un farouche adversaire du fracking, avec ses descriptions d’une nature fascinante avec ses formations schisteuses vieilles de 400 millions d’années ainsi que, précisément, ce que font les industriels lorsqu’ils perturbent ces créations de la nature.
Q. Que pensez-vous qui soit le plus dangereux dans la fracturation hydraulique?
A. Le problème n’est pas le « fracking » en tant que tel. L’industrie pétrolière et gazière a fait du foin autour du mot « fracking » (fracturation hydraulique) pour tenter de noyer le problème. Ils disent: «nous avons fait cela pendant 60 ans et il n’y a jamais eu de cas [problème] documenté … »
Le [« Fracking« ] correspond à une période de temps relativement brève dans le cycle de vie de cette gigantesque industrie lorsque l’eau mélangée à des produits chimiques et du sable est injectée dans les puits de forage et le schiste est à nouveau fracturé. C’est finalement quelque chose de très, très éloigné des gens qui se passe. Il faut des mois, voire des années pour complètement développer et exploiter un « pad » de gaz de schiste moderne. Cela pourrait prendre des mois pour traiter et transporter le méthane sur le marché. Le processus de fracturation lui ne prend que quelques heures par puits.
Les gens qui sont contre la fracturation hydraulique ne pensent pas à tout ce qui se passe avant et après. C’est pourtant beaucoup plus risqué pour la santé humaine et l’environnement. Le plus grand risque pour l’eau, c’est quand les produits chimiques de fracturation sont stockés à la surface puis injectés par pompage vers le bas pour la fracturation, puis lorsque ceux-ci ainsi que les substances nocives qui avaient été séquestrés dans la roche retournent à la surface après la fracturation dans ce qui est appelé effluent de forage.
L’opération de « fracking » en tant que tel présente des risques limités pour la qualité de l’air, mais les polluants issus des gaz d’échappement des moteurs diesel et les émissions de méthane associées aux processus d’excavation, de forage, la déshumidification, la compression, le traitement et le transport du gaz par pipeline présentent de graves problèmes pour la qualité de l’air et le réchauffement climatique. L’élément le plus important de l’exploitation des gaz de schiste qui semble tout simplement ne pas être compris par beaucoup est son intensité spatiale. Il s’agit d’une forme extrême de l’exploitation des combustibles fossiles en raison du nombre très élevé de puits très profonds, de la longueur totale verticale et latérale des forages et du volume du fluide de fracturation requis pour parvenir à une exploitation significative de ces formation schisteuses !
DÉVASTATION DES PAYSAGES, AIR EMPOISONNÉ
Alors qu’est selon moi la plus grande menace pour les humains liée à l’exploitation des gisements non conventionnels de gaz naturel à partir des formations schisteuses à travers le monde? Et si je voulais être plus précis en tant qu’ingénieur, à proprement parler, quelle est la plus grande menace que constituent ces champs d’exploitation percés par une multitude de forages, à l’aide de gros volumes de fracturations hydrauliques et de longs forages latéraux? Finalement c’est ça le problème. C’est parce que cette activité hautement industrielle occupe beaucoup d’espace, une activité qui implique bien plus que forer-le-puits-fracturer-le-puits-connecter-le-pipeline-et-on-s-en-va, une activité qui nécessite bien plus de terrains à défricher, beaucoup de forêts et de champs à dévaster. Il y a la nécessité de construire des milliers de kilomètres de pipelines qui engendre à nouveau la destruction de forêts et de champs. Il y a également la nécessité de construire de nombreuses stations de compression, ces installations industrielles qui compriment le gaz pour leur transport par gazoducs et qui brûlent d’énormes quantités de diesel. Elles sont très bruyantes et émettent du CO2 dans l’atmosphère. Puis, il y a la construction de fosses à déchets et bassins d’eau douce qui là encore nécessitent de gros travaux de génie impactant, du matériel de construction lourd, engendre des émanations gazeuses produites par les déchets dans les bassins de rétention ainsi qu’énormément de circulation de poids lourds, ce qui entraîne à nouveau la combustion de grandes quantités de diesel, l’augmentation des dégâts sur les routes et les ponts ainsi qu’un risque accru pour la circulation au milieu de ce trafic de poids lourds.
UNE INDUSTRIE SANS FRONTIÈRES
Pour à peu près toutes les autres industries qu’on puisse imaginer, comme de fabriquer de la peinture, des grille-pains ou des automobiles, ces formes traditionnelles de l’industrie sont implantées dans des zones industrielles, à l’intérieur de bâtiment, séparés des maisons d’habitation, des fermes et des écoles. Nous avons été suffisamment sages grâce à notre manière de nous civiliser pour nous rendre compte que l’industrie lourde doit être confinée dans des espaces clos. Et voilà qu’à l’inverse le secteur pétrolier et gazier nous informe que nos maisons, nos écoles, nos hôpitaux, même s’ils sont implantés dans des zones résidentielles, doivent devenir partie intégrante de leur industrie ! Dans la plupart des états, les lois sur le pétrole et le gaz supplantent les règlements d’urbanisme. Elles permettent aux industries du pétrole et du gaz d’établir leur prochaine industrie à l’endroit où nous vivons. Nous sommes invités à vivre à l’intérieur de leurs espaces. Ils nous imposent l’obligation d’implanter nos foyers, hôpitaux et les écoles à l’intérieur de leur espace industriel.
Q. Quand et comment avez-vous commencé à informer les gens à propos de la menace de cette industrie?
A. Deux choses se sont produites. Il y a quatre ans, lorsque le business du gaz de schiste à touché New York, j’ai pris conscience des publicités à la radio, à la télévision, dans les journaux, des articles écrits dans les journaux, les éditoriaux, qu’il s’agisse de grands journaux comme le New York Times ou des journaux locaux. Et ce que j’y lisais était étonnamment imprécis. Quand ce n’était inexact, hors sujet ou incomplet. Ma première réaction d’ingénieur a donc été, ils ne disent pas toute la vérité, les points essentiels ne sont pas abordés.
J’ai été invité par certains de mes copains de pêche – au passage les pêcheurs ont un intérêt direct pour l’eau non polluée- ils m’ont demandé de donner une conférence à la section locale de la société de pèche[1]. C’est comme ça que j’ai commencé mes conférences publiques. Et c’est ce qui m’a fait me plonger plus profondément dans la littérature de l’époque, la littérature technique sur le pétrole et l’ingénierie, et c’est ainsi que j’ai commencé à comprendre ce qu’est l’exploitation du gaz de schiste.
Q. Alors, pourriez-vous nous parler des principaux domaines où vous pensez que se trouve le danger?
A. Les puits (d’eau) ont été contaminés à un rythme significatif. L’industrie disait: «Quand on fore des puits certains puits fuient, mais cela arrive rarement.» J’oppose à cela: « ça se passait rarement, maintenant ça arrive plus fréquemment ».
Il y a la menace mondiale du réchauffement climatique, il y a la menace locale de la contamination des ressources en eau, et il y a la menace régionale de la contamination de l’air ainsi que des eaux de surface et souterraines, tout ceci étant exacerbé par l’intensité de l’occupation spatiale de cette industrie extractive. Parce que vous avez une multiplication des zones de forage, l’exploitation industrielle ayant recours à des moteurs diesel fonctionnant pendant de longues périodes dans de vastes régions engendre le brouillard et la création d’ozone au niveau régional. Il y a des problèmes de qualité d’air en raison de la nature même de l’exploitation des gaz de schiste. On rencontre également des problèmes de qualité de l’eau au niveau régional en raison d’accidents ou de rejets intentionnels de déchets dans les eaux de surface.
Les gens ont besoin de respirer de l’air. Les gens ont besoin de boire de l’eau. Les gens ont besoin de vivre dans un climat acceptable, lequel devrait être stable. Ceci nécessite deux choses. Voir la communauté où vous vouliez vivre et où vous avez vécu toute votre vie prendre votre relève, et l’environnement, l’eau, l’air, le climat, la flore la faune, tout ça est menacé. Ces deux menaces se trouvent sur le spectre de santé par rapport à la richesse. C’est la santé du plus grand nombre face à la richesse de quelques-uns.
Q. Alors, êtes-vous pour l’interdiction de cette industrie?
A. Ma position est la suivante. Lorsque l’exploitation du gaz de schiste n’a pas encore eu lieu, il faut l’interdire. C’est tout. Là où elle a déjà démarré, adopter de stricts règlements, examiner la conformité avec ténacité, appliquer des règles intransigeantes et lorsqu’elles ne sont pas appliquées infliger des amendes qui signifient vraiment quelque chose. Les Dix Commandements sont «règlements», mais les mots seuls ne nous mènent pas très loin.
LA TRANSITION VERS L’ÉNERGIE DURABLE
Enfin, là où tout autre combustible fossile est en cours d’exploitation, ralentir sa production et son utilisation aussi rapidement que possible, en tenant compte de toutes les facettes de ce problème fort complexe. Vous ne pouvez pas interrompre l’utilisation de combustibles fossiles aujourd’hui et vous tourner vers les énergies renouvelables demain. Mais nous devons commencer à réduire l’utilisation de combustibles fossiles des aujourd’hui et accélérer l’utilisation de carburants renouvelables. Et c’est là que les complications arrivent, celles de la politique, de l’économie et de la sociologie.
Q. L’exploitation du gaz de schiste n’a pas encore commencé dans votre propre État celui de New York. Le mouvement dans l’État de New York a réussi à éviter ça pour une longue période. Quelle est la prochaine étape?
A. Un commentaire sur les règlements de l’administration environnementale [État de New York]. L’administration environnementale aurait du passer les trois dernières années de moratoire sur les gaz de schiste à faire les bonnes choses: pas de politique adoptée tant que de rigoureuses études scientifiques sur l’environnement, la santé humaine et les impacts économiques n’auront été effectuées et validées. À mon avis, l’administration environnementale n’a pas effectué d’études scientifiques rigoureuses sur l’environnement, la santé humaine et les impacts économiques. Elle aurait du passer les deux dernières années à faire l’évaluation des impacts là où l’exploitation de ces gaz de schiste a déjà lieu, formant ainsi une base d’information pour la validation. Ils ne l’ont pas fait. Au lieu de cela, ils ont déjà proposé des règlements, ce qui aurait dû être la dernière chose à faire si et seulement si les études avaient été effectuées et validées. Je comprends que la démocratie est compliquée, mais la partie désordonnée ne devrait concerner que la politique, pas la partie scientifique.
Vous pouvez visiter la page FRACKING d’EcoWatch en anglais pour plus d’information sur ce sujet.
[1] Trout Unlimited : http://www.tu.org/
Merci beaucoup pour cette traduction.
J’ai eu la chance de rencontrer le Prof. Ingreffea, en octobre 2011. Lors de mon premier voyage en Pennsylvanie, nous étions 50 québécois et notre premier arrêt du voyage était à l’Université de Cornell et on a grandement apprécié les deux conférencier dont M. Ingreffea et aussi le Doc Adam Law….autant M Ingreffea est clair sur la pollution autant M. Law esttrès clair sur les dommages endocriniens. Bref deux hommes qui métrisent parfaitement leurs sujets et qui sont très sympathique !
Article tout-à-fait intéressant, car il complète les infos habituelles de façon « substantielle ».
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